Visé par l’article 324-1 du code pénal, le délit de blanchiment a la particularité (partagée avec le délit de recel)d’être une infraction de conséquence. En effet, il n’est possible de blanchir que le produit direct ou indirect d’un crime oud’un délit. Autrement dit, le blanchiment suppose l’existence d’une infraction préalable.
De jurisprudence constante, et cela a été rappelé récemment (Crim., 18 mars 2020, pourvoi n°18-86491), la Chambre criminelle de la Cour de cassation considère que « la caractérisation du délit de blanchiment, si elle n’implique pas que les auteurs de l’infraction principale soient connus, ni les circonstances de la commission de celle-ci entièrement déterminées, nécessite que soit établie l’origine frauduleuse des biens blanchis ».
Sans qu’il soit nécessaire que l’infraction préalable soit effectivement punie, il faut tout de même caractériser l’origine illicite des fonds.
En l’espèce, un individu avait été condamné pour blanchiment de fraude fiscale (à une époque où les poursuites pour blanchiment de fraude fiscale permettaient de contourner les difficultés de poursuites pour fraude fiscale du fait de l’existence du « verrou de Bercy »,qui subordonnait, avant la loi du 23 octobre 2018, la mise en mouvement de l’action publique à une plainte préalable de l’administration fiscale après avis favorable de la Commission des infractions fiscales).
La cour d’appel avait en effet déduit l’existence du délit de fraude fiscale « de la dissimulation de la somme de 76 000 euros sujette à l’impôt, et l’intention coupable (…) de l’abstention réitérée de déclaration de l’importation de cette somme, de l’importance de la somme dissimulée, et de la volonté de se soustraire aux obligations déclaratives légales prévues par les articles 464 et 465 du code des douanes, et des articles L.152-1 et L.152-4 du code monétaire et financier ».
Mais, selon la Cour de cassation, la seule référence « au défaut de déclaration des fonds aux autorités douanières lors de leur transfert » ne suffit pas à caractériser le délit de fraude fiscale.
En effet (et même si la Cour de cassation ne le dit pas), le délit de fraude fiscale est défini non pas dans le code des douanes ou dans le code monétaire et financier mais dans des dispositions précises du code général des impôts auxquelles la courd’appel ne fait aucunement référence. L’arrêt est donc cassé.
S’il est nécessaire d’établir l’origine frauduleuse des biens blanchis, il n’est pas requis que l’infraction préalable soit effectivement punie ni même qu’elle puisse l’être par les juridictions françaises.
C’est ce que rappelle la Chambre criminelle de la Cour de cassation (Crim., 1er avril 2020, pourvoi n°19-80875): « les textes qui définissent le délit de blanchiment, qui est une infraction générale, distincte et autonome, n’imposent ni que l’infraction ayant permis d’obtenir les sommes blanchies ait eu lieu sur le territoire national ni que les juridictions françaises soient compétentes pour la poursuivre ». En conséquence, le procureur de la République financier est compétent, en application du 6e de l’article 705 du code de procédure pénale, pour la poursuite du délit de blanchiment d’argent issu de détournements de fonds publics commis sur le territoire russe. La saisie de biens immobiliers en France, vraisemblablement acquis avec cet argent, est donc justifiée s’agissant de biens objets du blanchiment du produit direct ou indirect de l’infraction, d’autant qu’il est rappelé que le contrôle de proportionnalité, applicable en principe en matière de saisie /confiscation, est exclu si elle porte sur le produit de l’infraction (Crim., 3 mai 2018, pourvoi n°17-82098 ; récemment voir Crim., 15 janvier 2020, pourvoi n°19-80891).
Du point de vue de son élément matériel, le blanchiment peut revêtir plusieurs formes déclinées aux deux alinéas de l’article 324-1 du code pénal. Selon l’alinéa 1er de cet article, le blanchiment consiste à « faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l’origine des biens ou des revenus de l’auteur d’un crime ou d’un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect » ; selon l’alinéa 2, il consiste dans « le fait d’apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d’un crime ou d’un délit ».
Concernant le deuxième alinéa, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a bien rappelé (Crim., 18 mars 2020, pourvoi n°18-85542) que les comportements prévus sont distincts et, ainsi, que l’opération de placement, qui « consiste notamment àmettre en circulation dans le système financier des biens provenant de la commission d’un crime ou d’un délit (…)n’implique pas (…) que soit établie une dissimulation de l’origine illicite de ces biens ».
En conséquence, contre le moyen du pourvoi qui critiquait l’arrêt de la cour d’appel ayant condamné l’intéressé pour le blanchiment de fonds provenant de sa propre escroquerie alors que n’était constatée que la seule utilisation de fonds ou biens provenant d’une infraction, impropre à caractériser une opération distincte de placement, dissimulation ou conversion, la Chambre criminelle de la Cour de cassation pose que « l’opération de dépôt ou de virement du produit d’un crime ou d’un délit sur un compte, y compris s’il s’agit de celui de l’auteur de l’infraction d’origine qui conduit à faire entrer des fonds illicite dans le circuit bancaire, constitue une opération de blanchiment ».
Ce faisant, la Cour de cassation rappelle sa lecture souple de l’élément matériel du blanchiment qui se résume, en fin de compte, à toute forme de réinjection d’argent sale dans le circuit légal, y compris si elle prend la forme d’un autoblanchiment (voir Crim., 14 janvier 2004, pourvoi n°03-81165 ; Crim., 20 février 2008, pourvoi n°07-82977 ; Crim., 14 juin 2017, pourvoi n°16-84921).