La personne mise en cause dans le cadre d’une procédure pénale a le droit se défendre, droit qui passe par la possibilité de demander la nullité des actes de la procédure qui portent atteinte à ses intérêts, en particulier à son droit à la vie privée, comme l’illustrent deux arrêts récents rendus le même jour par la Chambre criminelle de la Cour de cassation.
Le premier arrêt (Crim., 18 juin 2019, pourvoi n°19-80105) portait sur le déroulement d’une enquête préliminaire ouverte pour infractions à la législation sur les stupéfiants, au cours de laquelle des saisies de stupéfiants et de matérielsutilisés pour la confection de la drogue avaient été réalisées dans un parc public, dans les parties communes d’un immeuble et dans un local servant d’atelier de conditionnement. Des réquisitions avaient ensuite été adressées par les enquêteurs au laboratoire de police scientifique pour l’analyse des stupéfiants et la recherche d’empreintes papillaires et génétiques, qui avaient abouti à l’identification d’un individu. Mis en examen, cet individu adresse une requête en nullité des pièces de la procédure en raison de l’absence d’autorisation du procureur de la République alors qu’elle est exigée par l’article 77-1 du code de procédure pénale. La demande est rejetée par la chambre de l’instruction au motif qu’une telle requête ne peut être faite que par la partie titulaire d’un droit sur les biens objets del’examen ou qui établit que l’investigation a porté atteinte à sa vie privée, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Commel’on pouvait s’y attendre la Chambre criminelle de la Cour de cassation casse l’arrêt, rejetant l’approche restrictive desjuges d’instruction quant à la personne ayant qualité pour demander la nullité d’un acte de la procédure et considérant au contraire largement que c’est toute personne y ayant intérêt qui peut présenter une telle requête
: « en se prononçant ainsi, alors qu’elle avait constaté que les réquisitions en cause avaient été délivrées sans qu’il soit justifié d’une autorisation du procureur de la République et que l’absence d’une telle autorisation peut être invoquée partoute partie y ayant intérêt, la chambre de l’instruction a méconnu le sens et la portée du texte susvisé ».
Le deuxième arrêt (Crim., 18 juin 2019, pourvoi n°18-86241) était relatif à des actes de surveillance réalisés surcommission rogatoire délivrée par un juge d’instruction à propos de faits de trafic de stupéfiants.
Ces actes avaient tout d’abord pris la forme d’une vidéosurveillance sur la voie publique aux abords du domicile d’un individu soupçonné. Ce dernier, mis en examen, demande la nullité des actes découlant de l’utilisation de ce dispositifconsidéré illégal. La chambre de l’instruction écarte le moyen considérant que, s’agissant d’un dispositif utilisé sur la voie publique, il échappe au formalisme de l’article 706-96-1 du code de procédure pénale (et non l’art. 706-96 c. proc. pén. comme le mentionne l’arrêt) exigeant de recueillir l’avis du procureur de la République, et que ce dispositif, en ce qu’il est utilisé sur la voie publique, ne saurait constituer une atteinte à la vie privée. Si la Chambre criminelle de la Cour de cassation ne partage pas ce dernier point, elle confirme néanmoins l’approche de la chambre de l’instruction considérant que le procédé utilisé, qui se fonde sur l’article 81 du code de procédure pénale, porte une atteinte limitée et proportionnée à la vie privée au regard de l’objectif poursuivi : « abstraction faite des motifs relatifs à l’absence d’atteinte à la vie privée du requérant, l’arrêt n’encourt pas la censure, dès lors que, d’une part, l’ingérence dans le droit au respect de la vie privée que constitue un tel dispositif présente, par sa nature même, un caractère limitéet est proportionnée au regard de l’objectif poursuivi, d’autre part, la Cour de cassation est en mesure de s’assurer, par le contrôle des pièces de la procédure, que le juge d’instruction, qui tire de l’article 81 du code de procédure pénale, interprété à la lumière de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, le pouvoir de faire procéder à une vidéo-surveillance sur la voie publique aux fins de rechercher des preuves des infractions dont il est saisi, à l’encontre des personnes soupçonnées de les avoir commises, a spécialement autorisé les enquêteurs, le 5 avril 2017, à installer, pour l’exécution de la commission rogatoire générale qu’il leur avait délivrée, un tel dispositif (…) ». Le pourvoi est rejeté sur ce point.
Mais les actes de surveillance avaient également pris la forme de mesures de géolocalisation et de captation d’images mises en place dans le parking souterrain d’un immeuble privé en dehors des heures prévues par l’article 59 du codede procédure pénale. Le requérant demande sur ce point-là aussi la nullité des actes au motif de l’absence d’autorisationdu juge des libertés et de la détention. Toute la question était de savoir s’il s’agissait simplement d’un lieu privé ou biend’un lieu d’habitation : dans le premier cas, l’autorisation du juge d’instruction suffit ; dans le second cas, une autorisation écrite du juge des libertés et de la détention est exigée. La Chambre criminelle de la Cour de cassationconfirme l’analyse de la chambre de l’instruction :
« ni les espaces de circulation, ni les emplacements de stationnement, ni les boxes fermés du parking souterrain d’unimmeuble collectif d’habitation ne constituent des lieux d’habitation au sens des articles 230-34 et 706-96-1 du code de procédure pénale ». Le pourvoi est rejeté également sur ce point.